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L’itinéraire d’un tocard gonflé

vendredi 1er avril 2011, par Antoine CHANDELLIER

Cet article d’Antoine Chandellier, a été publié dans le Dauphiné libéré du lundi 28 mars 2011.

C’est le parcours hors norme d’un Algérien d’origine. Un modèle de volonté et de ténacité.

"Quand on veut, non seulement on peut, mais on peut aller au delà de de ses limites et accomplir des miracles dans le dépassement de soi. Là où il y a une volonté, il y a un chemin ! "

Un grand bravo Nadir !.....

Un grand bravo également à Antoine Chandellier qui a su restituer le parcours atypique de Nadir avec beaucoup d’humour. Quelle belle plume !...


De la cité Maurice Thorez où il a grandi, au toit du monde, ... Quand il arrive au sommet de l’Everest, Nadir Dendoune brandit ce cœur en hommage à sa vraie patrie : son département, le "plus mal aimé de France".

Équipé "Leader price", sans aucune expérience et en bidonnant son CV, le petit gars de Seine-Saint-Denis a mystifié l’organisateur de son expédition. Ce drôle de bonhomme à la triple nationalité, en quête d’identité et de revanche sociale, a retrouvé là-haut l’estime de lui-même. Portrait.

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De la cité Maurice Thorez où il a grandi, au toit du monde, ... Quand il arrive au sommet de l’Everest, Nadir Dendoune brandit ce coeur en hommage à sa vraie patrie : son départment, le "plus mal aimé de France".
Equipé "Leader price", sans aucune expérience et en bidonnant son CV, le petit gars de Seine-Saint-Denis a mystifié l’organisateur de son expédition. Ce drôle de bonhomme à la triple nationalité, en quête d’identité et de revanche sociale, a retrouvé là-haut l’estime de lui-même. Portrait.

- Ça va ma poule ?" - "Ça va Nadir ?"

Dans les faubourgs de la préfecture du 93 (prononcez 9-3), il est connu comme un homme politique assurant sa réélection. Nadir Dendoune, de la cité Maurice-Thorez à l’île-Saint-Denis, est un as de la tchatche. Un don qui l’a sorti de ce ghetto où les lascars se font la bise. Pour mieux revenir, prophète en son quartier.

Au collège, il était premier de la classe parce que les fils de bourgeois avaient déserté à causé de la carte scolaire, laissant le champ libre aux fils de "classes dangereuses. "Ça ne l’empêche pas de séjourner à Fleury-Mérogis, avant qu’un éducateur ne lui indique la juste voie de l’action, là où associations et politiques avaient échoué. "Ni putes ni soumises ? Jamais vues sur le terrain. SOS racisme ? Un truc de bobo."

Le bagout est aux Français issus de l’immigration maghrébine ce que la sape est aux Blacks d’Afrique coloniale : un moyen de s’affirmer quand on est né du mauvais côté du périph’. En maniant l’arme verbale, Nadir est devenu chauffeur sans permis ou prof de gym sans diplôme en Australie, journaliste sans le bac et conquérant de l’Everest sans expérience de la montagne.

Pour s’élever, compenser le handicap de "sa gueule d’arabe qui n’intéressé personne", il redouble de roublardise :
- "J’ai souvent bidonné mon CV" - et se lance défi pas très islamistes ", sans ; savoir faire demi-tour.

A l’exception de ses colonies de vacances à Abriès (Hautes-Alpes), où le conseil général coco de Seine-Saint-Denis l’envoyait prendre l’air, la montagne était un horizon inconnu pour ce fils d’Algériens, illettrés. Gamin, après avoir vu Tarzan à la télé, il allait bien grimper sur les pommiers du Japon autour des HLM. Mais des patronymes d’alpinistes, bien peu résonnaient à ses oreilles. "Si, il y avait Marc Bâtard. Je trouvais son nom rigolo ".

C est l’histoire d’un parcours à faire hurler les puristes de l’alpinisme . Nadir Dendoune, c’est l’histoire d’un parcours à faire hurler les puristes de l’alpinisme.

- "Pour moi, la haute montagne était réservée à une élite et comme j’aime casser les barrières, je me suis pris au jeu." Mais par quel hasard sa trajectoire a-t-elle pris les chemins de la très haute altitude ? - "À l’organisateur de l’expédition, j’ai fait croire que j’avais gravi le mont Blanc et le Kilimandjaro. J’aurais pu aussi bien dire l’Annapurna ou la Lune, ça ne coûtait pas plus cher. "

II ne savait pas que c’était impossible, alors il l’a fait

Il en a vu d’autres, le bougre. Comme quand il fut bouclier humain dans une usine de traitement d’eau en Irak ou lorsqu’il est parti de Sydney pour un tour du monde à vélo. En chemin, il avait fait étape au Népal. La rencontre du patron d’une agence de trek est décisive. Le Népalais croit déceler en lui l’âme d’un aventurier. Il lui propose de partir à l’Everest dans une expédition anglo-saxonne où il assure la logistique. Le fier Nadir entretient le mystère, n’avoue pas qu’il n’a jamais cheminé sur un sentier et dit banco sans mesurer tous les enjeux. En quinze jours, sans dire où il part, il convainc amis et sponsors de lui prêter 20 000 €.

Coureur de fond au Racing, propulsé par un cœur qui bat à 40 pulsations minutes, Nadir est un fonceur et l’adage de Marc Twain lui sied à merveille. C’est simple : il ne savait pas que c’était impossible, alors il l’a fait.

Quand il prend l’avion, l’ingénu est sur un nuage. –"Les hôtesses te souriaient comme si tu pouvais attraper au vol leur numéro".

Mais une fois sur place, la peur le gagne en même temps que la conscience. Le spectacle de cette chaîne qui domine le monde lui coupe le souffle,

- "Un décor de cinoche, tellement tout avait l’air irréel " La mesure des hommes l’impressionne. Il contemple les sherpas, avec les yeux de sa civilisation :
- "Ces petits hommes taillés comme des cure-dents, chargés comme des camions trois, avançant coin des Lamborghini." Ce doit être ça, le Népal qui se lève tôt.

À son retour, personne n’y croit...

Mais dès les essais du matériel et les tests en paroi, le masque du tocard tombe. Et l’ambiance se crispe. Piqué au vif par le regard des autres, Nadir fait les cours du soir au camp de base. En cachette, un sherpa lui apprend à mettre le baudrier et à marcher avec des crampons. Il restera suspendu à 10 mètres du sol, redescendant à la force des bras. Au fil des semaines, le débutant réalise que son organisme résiste à l’altitude. Il se met à y croire, pour finalement devenir le premier Maghrébin à gravir le toit monde.

À son retour, personne n’y croit. Dans son quartier, on a toujours eu du mal à suivre ses pérégrinations. Alors, on ne réalise pas bien. Jusqu’au jour où sa bobine apparaît sur TF1, chez Harry Roselmack et convainc un éditeur parisien de publier son histoire. Celle d’un tocard sur le toit du monde.

Depuis, reporter d’images indépendant, Nadir milite pour la Palestine et autres bonnes causes. Quand il aura le temps, il retournera en montagne. Le tocard va peut-être se mettre à la rando, au ski de fond. "Parce que grimper, c’est pas vraiment mon truc."


BIO EXPRESS

• Octobre 1972 : naissance à Saint-Denis de parents immigrés d’Algérie et illettrés.

• 1993-2000 : s’expatrie en Australie où il obtient son troisième passeport

• 2001/2002 : tour du monde à vélo pour l’année mondiale contre le sida.

• 2002 : devient journaliste au CFJ.

• 2003 : bouclier humain en Irak.

• 2005 : parution de "Journal de guerre d’un pacifiste" (CFD).

• 2007 : "Lettre ouverte à un fils d’immigrés" (Danger public).

• 25 mai 2008 : gravit l’Everest, première Maghrébine. : "Un tocard sur le toit du monde" (JC Lattès).

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